Par André RENETTE – Avocat chez LEXLITIS LIEGE
Votre Smartphone téléphone de moins en moins, mais prend de plus en plus de photos, d’autoportraits (selfies) que vous vous empressez de placer sur tous les réseaux sociaux : Twitter, Facebook, Instagram, etc. (au Québec, le mot « selfie » est remplacé par « autophoto » et « égoportrait »).
Ainsi, vous voulez nous faire partager votre bonheur (ou susciter notre envie) d’être dans un endroit singulier où, en arrière-plan de votre mine ravie, se retrouve dans l’espace public une statue, un édifice architectural, des travaux de gravure sur un édifice public (vous en photo face à la Tour Eiffel ou l’Atomium). Qui plus est, certains esthètes de l’humilité et de la simplicité se bornent à photographier de tels endroits pour vous faire « partager » leur vision de telles œuvres.
Or, il faut savoir que, sur le plan juridique, photographier une œuvre, c’est déjà la reproduire et qu’en principe, cette reproduction aurait dû supposer l’autorisation de l’auteur ou de son ayant-droit, titulaire du droit du même nom 70 ans après son décès.
La directive 2001/29/CE du Parlement européen du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information prévoyait, à l’article 5, 3, h, la possibilité aux Etats membres de limiter le droit d’auteur « lorsqu’il s’agit de l’utilisation d’œuvres, telles que des réalisations architecturales ou des sculptures, réalisées pour être placées en permanence dans les lieux publics ».
C’est ce que l’on appelle « la liberté de panorama », celle qui suppose que l’auteur ou l’ayant-droit de l’auteur ne puisse pas s’opposer à une reproduction par la prise d’une photo, d’une publication sur Internet, etc., d’une œuvre d’art plastique, graphique ou architecturale se trouvant dans le domaine public.
C’est ce que consacre la loi belge du 27 juin 2016 modifiant le Code de droit économique en vue de l’introduction de la liberté de panorama.
Tel que modifié, l’article XI.190 du Code de Droit économique précise maintenant que l’auteur ne peut interdire, lorsque l’œuvre a été licitement publiée :
« La reproduction et la communication au public d’œuvres d’art plastique, graphique ou architectural destinées à être placées de façon permanente dans des lieux publics, pour autant qu’il s’agit de la reproduction ou de la communication de l’œuvre telle qu’elle s’y trouve et que cette reproduction ou communication ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. »
Nous avons soutenu à plusieurs reprises la thèse selon laquelle trop de droit d’auteur tue le droit d’auteur, et il est heureux que le législateur s’adapte à la société de l’information et garantisse une « liberté de panorama » à tous ceux qui, comme le Bourgeois gentilhomme, faisaient de la contrefaçon à grande échelle sans le savoir.
Evidemment, si vous faites commerce de l’œuvre placée dans l’espace public, nous sortons du cadre de cette liberté, liée à l’exploitation normale de l’œuvre, par exemple une carte postale, ou l’utilisation publicitaire de cette photo.
Par contre pour les utilisateurs des réseaux sociaux friands d’images, c’est une bonne nouvelle (sans doute une meilleure encore pour Mark ZUCKERBERG).
Si, habile de photoshop et autre programme de traitement d’images, vous dénaturez l’œuvre, vous la placez dans des circonstances et des positions discutables, il vous faudra toujours l’autorisation de l’auteur ou de son ayant-droit, et vous risquerez toujours d’encourir ses foudres.
Quant à la photo de votre assiette dans un restaurant, autre grande favorite des égoportraits, il faudra attendre que le législateur pense à une loi de liberté de gastronomie …
Enfin, n’oublions jamais que les photographies que vous prenez, si elles sont originales « en ce sens qu’elles sont des créations intellectuelles propres à leur auteur », sont également protégées par le droit d’auteur et que vous devriez savoir ce qu’elle devient lorsque vous la publiez sur un réseau social, mais cela c’est une autre histoire.
Profitons du panorama !
André RENETTE
Avocat chez LEXLITIS LIEGE
Le 13 juillet 2016
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